L’Oeil du Silence est un lieu de création et d’innovation théâtrales qui passionnait Marcel Marceau. Il venait y enseigner, y réfléchir, y écrire et participer en toute liberté à l’aventure collective de la compagnie.
Considéré comme le plus grand mime de théâtre, Marcel MARCEAU a révéler au public enthousiaste, un art porté à un haut degré de perfection.
Un art du mime inventé par un maître peu connu du grand public, Étienne DECROUX, créateur dans les années 30, du mime corporel; un art nouveau du corps, jalousement entretenu comme un feu par de jeunes initiés, venus après la guerre se soumettre au dur apprentissage de la « grammaire du mime » : un culte tourné vers la « statuaire mobile » qui donne naissance à quelques tentatives de spectacles sans lendemain.
Il revient à un élève de DECROUX, le plus doué, le plus talentueux, Marcel MARCEAU, de porter le mime au théâtre, d’en faire un art autonome et de lui frayer la voie du succès.
Bravant les interdits du maître il va élargir le langage du mime au visage, aux mains, au corps tout entier. Admirateur passionné de Charlie CHAPLIN il lui intègre les acquis gestuels les plus caractéristiques du cinéma muet. Un art populaire du mime est né.
Marcel MARCEAU fonde en 1948 sa première compagnie et crée son premier mimodrame
« Le manteau » de Gogol, considéré comme un chef-d'œuvre. Durant 10 ans les succès vont crépiter sous les feux de la rampe : « Le Manteau », « Pierrot de Montmartre », « Jardin Public », « 14 Juillet », « Paris qui rit, Paris qui pleure », « Mort avant l’aube ».
Les spectacles parisiens alternent avec les premières tournées internationales en Europe, aux États-Unis. Mais le théâtre connaît de grands changements, la mise en scène évolue. Privée de subventions la vie d’une compagnie devient difficile; la troupe de Marcel MARCEAU est dissoute. « Don Juan » en 1964 marque la fin du mimodrame.
Voici venu le temps du repli et des abandons. Aux uns la transhumance vers le théâtre de texte, aux autres les attraits de la danse et du mime-mouvement. Pour Marcel MARCEAU le théâtre
continue dans la même voie mais avec le One-Man show. « Je serai mime ou rien » s’était-il un jour écrié. Pendant des années seul en scène, il porte la flamme du mime solitaire dans tous les pays du monde. Partout, de New-York à Melbourne, de Moscou à Tokyo, il fait triompher les aventures de BIP et les pantomimes de style.
Il crée l'illusion, sculpte l’espace, rend visible l’invisible. Il est tour à tour arbre, oiseau, papillon. Il fait revivre en quelques gestes une scène de tribunal, l’ambiance d’un cirque, la vie d’un grand café. Il communique la sensation physique du poids, du vertige, du vent. Réduit à lui seul, il accomplit des prodiges de virtuosité pour peupler la scène des personnages les plus drôles et les plus variés. Il fait de son corps un extraordinaire instrument à créer du sens, du rire, de l'émotion, du plaisir.
D’année en année les productions se succèdent. Le geste atteint la plénitude et la perfection.
Son art fait école dans de nombreux pays et s’enrichit au contact des différents publics. Il gagne en profondeur et en gravité. Sur les musiques de Mozart il joue d’admirables concertos pour corps et orchestre. L’art du mime français rencontre le courant universel de redécouverte du corps, il attire les foules.
Lorsque Marcel MARCEAU paraît dans un faisceau de lumière, les bras ouverts au public, le corps ployé comme un jonc, il fascine. Des milliers de regards se retrouvent pris dans son champ
magnétique. La salle devient comme un grand coquillage de la mer où s’écoute une grande, une inégalable musique du mime et du silence. L’art gestuel de Marcel MARCEAU conquiert les publics de tous âges, de toutes conditions. Un succès qui confond ses anciens amis et ses adversaires. Miracle d’un mime qui dans le tintamarre du siècle, triomphe avec le silence sur toutes les scènes internationales.
« Avec ABYMES, Anne Sicco signe un conte étrange et violent qui reflète une vision très personnelle d'un Japon mythique plongé dans la douceur brumeuse d'un paysage de SENKA.
J'ai aimé l’âpreté, la force, la rigueur de ce conte poétique, le lyrisme mystérieux et troublant que dégagent les personnages.
Dans ce mimodrame qu’Anne Sicco dirige avec austérité, concentration et puissance, je joue le rôle d'un être de Terre et de Songe, autoritaire, passionné, vulnérable, s’accrochant de toutes ses forces à l'amour intransigeant qu'il éprouve pour sa fille, qu'il a jadis sauvée de la mort.
Vies réelles, vies imaginaires, tout semble se dérouler au-delà du visible, hors du temps et de sa réalité.
Anne Sicco jette son cri silencieux à sa manière. Ce qui fait la force de son écriture, c'est la puissance évocative des images et leur extraordinaire rigueur de construction gestuelle, le lyrisme attaché aux personnages qui révèle le mystère profond de l’être.
Je suis heureux de participer à cette création et heureux de me trouver aux côtés de ma fille Aurélia, si petite et si sérieuse, et parmi les jeunes acteurs du Théâtre de la Sphère qui ont toute ma confiance.
En 35 années de carrière c'est la première fois que j'accepte d'être mis en scène et dirigé dans un mimodrame contemporain, c'est dire mon adhésion totale.
Car il n'y a pas d'évolution dans un art sans recherches constantes.
Notre art ne peut vivre sans symbole, et sa force poétique plonge ses racines dans le plus profond de nous-mêmes, révélant par le geste l’essence de notre intériorité.
À travers ce conte fantastique et tragique, l'être humain reste, dans cette déchirure sa déchirure, un mystère troublant. »
Paris le 30 janvier 1997
Ma chère Anne,
Je te remercie de tout cœur de m'avoir sollicité pour partager ta magnifique création «Déserts ou les 7 rêves de Sarah», et d’y incarner le messager. Ce rôle m'a totalement engagé et j'ai beaucoup appris.
Nous sommes tous deux lancés dans la création, et les travaux que je suis depuis que je t'ai découvert en 1978 me passionnent et m’interpellent.
Tu avais 27 ans à l'époque lorsque je te confiais la direction d'un atelier expérimental au sein de mon Ecole Internationale de Mimodrame de Paris afin que tu puisses donner libre cours à ton imagination et à tes recherches théâtrales.
En 1986 tu as quitté notre école pour fonder dans le département du Lot ton propre centre L’Oeil du Silence qui développe l'enseignement la création et la recherche, et que je visite chaque année pour y donner des cours et des conférences et y rencontrer les professeurs d'arts martiaux, de chant, de grec, de littérature, et les philosophes de passage.
Depuis tu n'as cessé de travailler avec ta vaillante équipe et ton fidèle collaborateur François Klère, présentant tes créations en Europe qui chaque fois on su déclencher l'étonnement des critiques et l'enthousiasme du public.
Aujourd'hui par cette nouvelle création présentée à Albi, tu me prouves plus que jamais que je ne m'étais pas trompé en te précisant une carrière d'auteur de dramaturge et de pédagogue de pointe.
Tu luttes courageusement pour maintenir une qualité et une rigueur rares, malgré les aides assez faibles que tu reçois des pouvoirs publics.
Dans une époque difficile où la culture se nivelle et se dégrade, tu fais entendre ta différence par l'esthétique et les idées que tu défends. Tu fais admirablement la synthèse de la dramaturgie silencieuse et visuelle et de la langue poétique et philosophique. Tu réalises ce qu'Antonin Artaud voulait faire : un théâtre dramatique où le geste, le souffle, le cri, le texte, révèlent indissociablement le poids de notre être.
Tu es partout à la fois, à la direction de la troupe, à la technique, au secrétariat, à la formation des stagiaires, dans les écoles, les quartiers, les associations… Tu te bats avec des difficultés parfois insoutenables et j'en suis bouleversé.
Anne, tu vas te situer de plus en plus parmi les artistes authentiques qui régénèrent le théâtre contemporain et qui tracent des signes nouveaux malgré la dégradation des conditions de vie et des rapports entre les individus.
Je te le dis une fois encore, Déserts est un chef-d'œuvre, le jeune public enthousiaste ne s'y est pas trompé. La dramaturgie n'est pas seulement profonde mais trouve une résonance sur un public qui s'interroge sur l'avenir et qui n'avait plus de croyances dans la magie et la force de l’art, ou même n'en avait jamais eu.
J'ai passé des moments inoubliables avec ta jeune équipe et avec ce grand musicien qu’est Jean-Jacques Lemètre.
Je viens de créer en Amérique une fondation pour l'avancement de l’art du mimodrame. Je pars en avril 1997 pour y tenir une session avec le board des personnalités du monde de la musique, du cinéma, des arts plastiques et du théâtre qui ont accepté d'entrer dans la fondation.
Saches que je compte également sur toi pour l’avenir; il faut que le public américain découvre ton travail ainsi que le public japonais qui saura te reconnaître à ta juste valeur.
Je suis persuadé que les institutions culturelles françaises sauront te reconnaître et t'encourager. C'est ce que tu mérites pour l'histoire théâtrale de notre pays.
Voilà, chère Anne, ce que moi, Marcel Marceau, avec 50 ans de métier, de tournées et de rencontres à travers les cinq continents, j'avais envie de t'écrire presque solennellement.
Soit remerciée. Courage.
Je reste ton fidèle BIP et ton MARCEL MARCEAU
«Née en 1951, au sortir des années du désastre, je me suis posée comme dramaturge avec la hantise de l’écriture. Comment aborder le langage et un usage éthique de la langue ?
Nourrie de poésie par mon père professeur de lettres, je rencontre à 20 ans Marcel Marceau et découvre son art. Cette rencontre a été décisive. J’ai découvert une langue que je n’avais jamais «entendue» au théâtre et si peu dans ma jeune vie: le silence.
J’ai pressenti que cette langue particulière me permettrait toutes les explorations théâtrales; que je pouvais l’utiliser pour fissurer la page, pour autoriser le passage des corps, le peuplement des regards; pour approcher les errements de la conscience, les fulgurances de l’intuition. Pour inventer des superpositions, des collisions de paysages de traces et de temporalités.
Cette langue dramatique nouvelle permettait de révéler la double vie du monde, envers et endroit, la double vie du texte, la double vie de l’acteurE et de son personnage.
Cette question de la présence au monde, voilà l’héritage profond que m’a légué Marcel Marceau, grand dramaturge du silence au masque de neige, précurseur des écritures dramatiques contemporaines par le coup de grâce qu’il a donné au mythe de l’absolu du Verbe.
Un corps humain dans l’espace vide, comme l’encre des mots qui se détachent de la feuille blanche. Création en marche. Partition trouée.
«Quand une inquiétude passe, comme ombre ou lumière de nuage, sur vos mains…» dit Rilke dans ses Lettres à un jeune poète.
Travail continu de Marcel Marceau à la recherche infinie du rapport avec lui- même avec les hommes avec le sens des choses et du monde. Travail obstiné d’un homme qui traçant sur scène et retraçant des gestes, creusant le regard, réclame le droit au sens pour tous les hommes pour vivre dans le temps présent.
Optant pour l’espace vide, Marceau soliste a dé-truqué l’espace encombré jusque-là. Il a vidé la scène, s’est présenté nu en poète, en clown, et en tragédien, corps mains visage, noir et blanc, bouche déchirée d’un trait rouge,
sculptant l’espace, inventant des architectures imaginaires peuplées de regards francs et d’invisibles foules.
Il s’est présenté ainsi partout dans le monde. Travail de l’homme de plateau à la rencontre de tous les publics, dont le destin est “l’ouverture”.
Corps solitaire certes mais capable de traverser le temps l’espace et la matière; corps démultiplié, composé, dirait Artaud, de tous les morts et de tous les ancêtres, composé aussi à la manière des grands récits mythiques du minéral, du végétal, du bestial. Jeux croisés de la métamorphose et de l’hybridité pour dire ici et là le statut de l’être humain et sa place dans le monde.
L’écriture profonde de Marcel Marceau est une tentative toujours obstinément reprise pour voir, par-delà le visible cela que nous ne voyons jamais, qui déborde tous nos mots : «Elle nous emporte à tout moment vers la substance théâtrale de l’impalpable et du silence.»
«On peut même concevoir l’air qu’on respire comme le tréfonds de la pensée: un oiseau traverse le corps et rien ne dit autre chose que le battement de sa fuite» écrit Bernard Noël.
«Bip chasse le papillon».
Notre société profondément matérialiste, submergée d’images publicitaires, ne voit et ne considère que ce qui est palpable, tangible.
Marcel Marceau a rouvert tout grand la porte de la communauté inépuisable des récits et des mythes. La merveille est que le matériau scénique ne soit que son corps dans l’espace vide la buée de lumière et le silence autour.
C’est la revanche du Théâtre de l’invisible sur St Augustin, qui voyait en ces acteurs du silence le diable personnifié.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, sa petite silhouette fine immergée dans le vide des scènes du monde entier a posé cette question troublante qui continue d’agiter les débats: